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Quand les écuries changent de nom, la F1 s'emmêle les pinceaux

Si Toro Rosso va être rebaptisé AlphaTauri en 2020, la Scuderia est loin d'être la première écurie à être renommée de manière particulièrement déroutante d'un point de vue historique et statistique.

Sergio Perez, Force India VJM11, devant Brendon Hartley, Toro Rosso STR13 Honda

Sergio Perez, Force India VJM11, devant Brendon Hartley, Toro Rosso STR13 Honda

Glenn Dunbar / Motorsport Images

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Qu'est-ce qu'un nom ? Quand William Shakespeare a posé cette question rhétorique dans Roméo et Juliette, son message était qu'un nom de famille, avec tout l'historique familial potentiellement hostile qu'il représente, est indépendant de la personne qui le porte. Si l'on en vient aux écuries de Formule 1, c'est un peu plus compliqué. Un nom peut véritablement transformer la manière dont on est perçu, même si rien d'autre ne change.

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Le projet de renommer Toro Rosso en AlphaTauri, qui est la ligne de vêtements de Red Bull, en est un parfait exemple. Clairement, AlphaTauri sera la même écurie que Toro Rosso : même propriétaire, même usine, même personnel... Mais en la rebaptisant, la sensation sera différente et posera inévitablement des questions : faut-il la considérer comme une entité distincte en ce qui concerne les statistiques ? Pour nous, cela restera Toro Rosso, car c'est trop similaire.

Il s'agit également de l'équipe qui a été le Petit Poucet le plus célèbre de la F1 sous le nom de Minardi de 1985 à 2005... mais en même temps, ce n'est pas la même. Voilà qui soulève une question identitaire intéressante ! L'usine demeure au même endroit, à Faenza (Italie). Il reste des employés de l'ère Minardi, et quand Sebastian Vettel a remporté sa légendaire victoire à Monza en 2008, c'était comme si l'ancienne équipe avait gagné. Après tout, une entreprise est représentée par les personnes qui la composent, celles qui abattent le travail, plus que par ses propriétaires ou ses dirigeants.

Giancarlo Fisichella, Minardi

Mais statistiquement, nous considérons Minardi et Toro Rosso comme des écuries différentes, qui comptent 340 et 263 Grands Prix à leur actif respectivement, malgré leur histoire commune. C'est grandement dû aux différents propriétaires, car Minardi était inextricablement lié à son fondateur Giancarlo Minardi, qui n'était pas une présence anonyme, corporate : son équipe était une raison de vivre pour lui. Ce caractère a été conservé sous Paul Stoddart, mais une fois le team acquis par Red Bull, Toro Rosso n'était plus un Petit Poucet héroïque malgré un budget qui n'a pas si drastiquement augmenté.

Aussi frustrant que cela soit pour les amoureux de statistiques, Red Bull est parfaitement dans son droit en renommant l'écurie pour des raisons commerciales. Elle sera dans la continuité de Toro Rosso en matière de chiffres, et donc distincte de Minardi. Mais tout cela est basé sur la sensation, sur une réaction émotionnelle à l'identité de l'équipe.

Avoir un team Alpha face à l'équipe Alfa Romeo va également créer de la confusion, d'autant que cette dernière est également le fruit d'un nouveau nom qui lui a permis d'acquérir l'Histoire des précédentes écuries Alfa Romeo. Nous avons choisi de considérer la structure de Hinwil comme Alfa Romeo car c'est ainsi que de nombreux fans la percevront. Par conséquent, l'écurie ne partage pas ses statistiques avec Sauber, ni avec la version BMW Sauber qui était engagée en F1 de 2007 à 2009. Très clairement, c'est ridicule : cette entreprise demeure Sauber. Mais encore une fois, tout est question de sensation, avec l'objectif de minimiser la confusion, même si ce n'est pas forcément satisfaisant.

Le problème se pose pour la plupart des écuries sur la grille. À l'exception de Ferrari, McLaren et Haas, elles ont toutes connu différentes identités. Même les deux plus grandes équipes de l'Histoire, Ferrari et McLaren, ont changé de propriétaire au fil des années. Ainsi, il est devenu impossible d'atteindre une cohérence parfaite d'un point de vue statistique.

Adrian Sutil, Spyker F8-VII

Red Bull s'est créé dans la continuité de ce qui a été Stewart, puis Jaguar, mais nous les considérons comme trois équipes différentes. Puis il y a Mercedes, qui a commencé en tant que Tyrrell avant de devenir BAR, Honda et Brawn. Encore une fois, ces entités sont différentes les unes des autres d'un point de vue statistique. Racing Point est effectivement l'écurie qui a été fondée comme Jordan en 1991, ensuite rebaptisée Midland, Spyker et Force India : c'est un cas similaire.

Même chez Williams, c'est déroutant. L'écurie actuelle a été fondée en 1977 sous le nom de Williams Grand Prix Engineering et courait alors contre l'équipe Wolf... qui s'appelait précédemment Frank Williams Racing Cars. Ajoutez à cela le fait que le premier team faisait parfois rouler des châssis nommés Williams, mais utilisait également des Iso-Marlboro et des De Tomaso : c'est un cauchemar statistique !

Le plus ridicule, c'est l'écurie d'Enstone, qui arbore actuellement l'identité de Renault. C'est sous l'égide du Losange qu'elle a remporté le titre mondial en 2005 et 2006, tandis qu'elle était Benetton lorsqu'elle a été sacrée en 1994 et 1995. Au début des années 2010, elle est devenue Lotus – mais pas le "vrai" Team Lotus, contre lequel elle avait couru dans les années 1980 et 1990 – et s'est retrouvée sur la même grille de départ que la seconde version du Team Lotus, celle-ci ensuite devenue Caterham. Sans oublier que la structure d'Enstone avait été fondée sous le nom de Toleman et se battait alors en piste contre l'écurie d'usine... Renault.

Il est frustrant que les véritables nouvelles équipes soient si rares, surtout quand l'on se penche sur l'histoire riche des divers échecs de petits teams au fil des 70 saisons de Formule 1. Mais ce n'est pas un hasard : les écuries sont devenues gigantesques et si complexes qu'elles ne peuvent apparaître et disparaître du jour au lendemain. Elles sont effectivement devenues des franchises qui changent parfois de mains.

Jenson Button, Brawn GP BGP001, Rubens Barrichello, Brawn GP BGP001

Il n'est donc pas surprenant que la Formule 1 s'efforce de protéger les écuries existantes en préconisant une approche protectionniste : il n'est pas souhaitable que n'importe qui puisse rejoindre le championnat pour se partager le gâteau, en ce qui concerne les cruciales primes financières.

La réaction publique de la F1 aux aspirations de deux nouvelles équipes potentielles (Panthera Team Asia et un projet lié à l'écurie Campos) prouve que la barre est placée très haut pour ces candidats. Des personnes sérieuses sont impliquées dans ces deux projets ; il va simplement falloir convaincre la F1 et la FIA qu'ils méritent ce qui a été décrit comme des "discussions sérieuses".

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Actuellement, dans le monde entier, il y a seulement dix entreprises capables de concevoir, construire et exploiter une F1. Et encore, ce chiffre est un peu généreux vu comme Haas dépend de Dallara et de Ferrari. Cela nous rappelle non seulement le besoin de les protéger, elles et les milliers de personnes dont c'est le gagne-pain, mais aussi d'accepter les nouvelles équipes si elles sont authentiques, convenablement fondées et bien organisées, pour le bien de la F1. Cette dernière ne peut refuser les arrivées indéfiniment : la porte doit au moins être entrouverte.

La Formule 1 va très probablement continuer de se bâtir autour des écuries actuelles. À l'avenir, certaines d'entre elles vont certainement changer de mains, et inévitablement d'identité, mais l'on peut espérer qu'elles vont survivre. C'est simple. À moins d'être un statisticien aspirant à un insaisissable idéal de cohérence.

Jaime Alguersuari, Scuderia Toro Rosso STR4

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