James Brown disait : "À force d'essayer de faire la part entre autobiographie et fiction ou invention, et d'essayer ensuite de tout remettre en forme, je suis arrivé à la conclusion que la vérité, la réalité ne sert à rien, si ce n'est de catalyseur pour écrire une histoire." Un précepte qui a été suivi lors de l'écriture du film 'Le Mans 66', qui s'est permis d'adapter la réalité et de prendre quelques libertés pour pouvoir mettre l'accent sur certains faits et privilégier l'aspect spectaculaire à la stricte vérité.

Il est déjà important de rappeler avant tout que le film tient globalement compte de toutes les grandes lignes de l'histoire et si vous n'avez pas encore vu le film, la suite de l'article en révèle de nombreux détails. Et si la plupart des faits ont été tenus plus ou moins de manière correcte, certains ont été romancés voire totalement inventés pour affirmer le cadre de cette rivalité entre les deux marques, mais aussi montrer les difficultés du projet au sein même de Ford.

Des faits inventés pour amplifier les rivalités

Contrairement à ce qui est montré dans le film, Ken Miles et Carroll Shelby ne se sont jamais battus devant la maison de Miles lorsque le créateur de la Cobra est venu demander à son pilote de courir.  On pourrait voir ici la principale invention et certainement la moins utile, d'autant que la scène détonne complètement dans le film, par rapport à d'autres qui ont également été inventées, à l'image du test permettant de convaincre Henry Ford II de confier le projet à Shelby.

Ken Miles - Ford GT40 (Le Mans 66)

En effet, dans le film, le directeur commercial et bras droit de Ford, Leo Beebe, veut retirer le contrôle du projet à Shelby et pour convaincre le patron, celui-ci fait enfermer Beebe dans son bureau pendant qu'il emmène Henry Ford II faire un tour dans la GT40 et son nouveau V8 de 7 litres. Bouleversé, le PDG de la marque décide alors de faire confiance à Shelby en prétextant que son grand-père, créateur de la marque, aurait exactement voulu cela. Si la scène paraît un peu grossière, elle apporte un bon moment de divertissement dans le film et ne choque pas outre mesure, si ce n'est la réaction démesurée de Henry Ford II. 

En revanche, plusieurs choses ont été montées en épingle dans le film, et notamment la rivalité entre Miles et Beebe, qui se base dans la production hollywoodienne sur un commentaire du pilote qui n'est pas apprécié par le numéro 2 de Ford. Ce dernier essaie alors par tous les moyens d'empêcher Miles de participer aux 24 Heures du Mans 1966, alors que celui-ci avait en réalité déjà couru pour Ford en 1965, ce qui laisse penser que sa participation était déjà acceptée pour l'année suivante.

La présence d'Enzo Ferrari lors de l'édition 1966 du double tour d'horloge est également inventée, mais 'Il Commandatore' étant perçu comme l'ennemi numéro 1 du film, il était évident qu'il devait être présent pour assister à la défaite de sa marque face à Ford, car la rivalité italo-américaine est réellement au centre du film. De même, on regrette que certains personnages, et notamment l'ingénieur Eric Broadley, qui a développé le châssis de la GT40, aient été oubliés, mais c'est là le problème de films au format limité. 

Des faits corrects au service du spectacle

L'arrivée de l'édition 1966 est elle aussi sujet à débat, et s'appuie dans le film sur une légende urbaine qui veut que la photo finish n'ayant pas pu départager les trois Ford, c'est celle de Bruce McLaren et Chris Amon, partie le plus en retrait, qui ait été déclarée gagnante. En réalité, McLaren a franchi la ligne nettement devant Miles, lui octroyant de facto la victoire. Mais le film est en revanche correct sur le fait que c'est Ford, par l'intermédiaire de Beebe, qui a demandé à Miles de ralentir pour attendre les deux autres GT40 afin de franchir la ligne ensemble et faire une photo d'exception pour la marque.

Il y a aussi plusieurs faits qui semblent presque grossiers lorsqu'on y assiste, et qui se sont pourtant bien produits, et notamment le défaut de la portière de Ken Miles au départ des 24 Heures du Mans 1966. Celui-ci a dû rentrer au stand après seulement un tour de course à batailler avec la portière défaillante, et a ensuite été contraint de remonter dans le peloton pour rattraper son retard, ce qu'il parvint à faire brillamment.

Bien évidemment, la base de la rivalité entre Ford et Ferrari est le rachat avorté de l'entreprise italienne par le géant américain, et les commentaires déplacés d'Enzo Ferrari sur Henry Ford II. Si cela semble très largement interprété, les tractations et leur résultat négatif ont réellement amené des propos de Ferrari sur Ford, et la volonté de ce dernier de se venger en allant battre Ferrari, qui s'était notamment servi des négociations pour faire monter les enchères avant le rachat par la famille Agnelli, propriétaire de Fiat.

Ferrari 330 P3

Enfin, le décès de Ken Miles, quelques semaines après les 24 Heures du Mans 1966, est montré comme se déroulant devant son fils, lors d'une fin de journée d'essais au volant de la GT40 modifiée pour l'édition 1967. Ces faits sont entièrement corrects, et le fils de Ken Miles a d'ailleurs confirmé cela lors d'une interview effectuée autour du film cette année. 

Alors bien évidemment, on peut en vouloir au film et à son réalisateur James Mangold d'avoir pris des partis plus ou moins corrects, mais il faut évidemment se rappeler qu'il s'agit d'une production hollywoodienne au sujet d'un pan de l'Histoire de l'endurance. Pour rendre cela intéressant auprès d'un public qui n'est pas forcément initié à ce sujet et qui n'a pas forcément la passion du sport automobile, il est obligatoire de romancer la vérité afin d'amplifier les bases du film, et l'on ne peut finalement déplorer qu'une ou deux inventions peu nécessaires.

Mais il ne faut pas non plus bouder notre plaisir de voir un sujet de passionnés être porté à l'écran dans un film qualitatif, avec un duo d'acteurs composé de Christian Bale et Matt Damon qui est très efficace, en respectant globalement la majeure partie des faits. Pour les personnes qui souhaiteraient en savoir davantage de manière historique sur le sujet, l'excellent documentaire The 24 Hour War aborde le même sujet sans s'embarrasser de codes du cinéma, et il ravira certainement davantage les puristes.

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