1952 - Quatrième édition depuis la reprise, et les 24 Heures du Mans profitent du renouveau Européen. La Reconstruction est en marche, et les heures sombres des années 1940 s'éloignent. En 1952, la classique mancelle offre déjà un paysage bien différent de celui des années 1949. Désormais, il faut compter sur la présence de Jaguar, Ferrari, Talbot Lago, Aston Martin, les surprenants américains de Cunningham, Frazer Nash, et surtout, un nouveau venu très remarqué : Mercedes.
Les Allemands sont clairs depuis le début de la saison. La nouvelle 300SL pour Super Leicht (super légère), avec son 6 cylindres de 3 litres et sa carrosserie novatrice, doit triompher au Mans. La marque allemande a déjà été remarquée lors de la Panaméricaine, mais au Mans, il faut marquer les esprits. D'autant qu'en face, la concurrence se veut un peu moins… sophistiquée. La voiture reçoit en effet une injection d'essence, et non un carburateur. Et peut développer jusqu'à 200 chevaux. Aussi, face au Talbot, Jaguar et Ferrari, Mercedes possède un vrai avantage, même si l'expérience est du côté de la concurrence.

Bleu de France
Pourtant, il ne faut pas croire que l'Étoile va avoir course facile. Dès le départ, qui se fait non pas dans l'ordre des plus rapides, mais des plus puissants, on ne voit pas de flèches d'argent devant, mais bien des voitures bleues. Tout d'abord, c'est la Ferrari française d'André Simon et Lucien Vincent, la 340 America coupé, qui prend les devants. L'Italienne naturalisée française mène tambour battant les deux premières heures de course. Une fuite d'huile vient contrarier sa marche, et c'est une autre voiture française, la Gordini T15S de Berha-Manzon, qui reprend alors la main.
La petite voiture française impressionne avec ses 140 chevaux. Non seulement elle profite des ennuis du leader, mais elle sait garder le rythme. D'ailleurs, elle tient aussi la première place à l'indice de performance, preuve de son efficacité. Entretemps, les Jaguar s'arrêtent une à une sur ennuis techniques. Les Cunningham et Ferrari ne suivent pas non plus.

Pourtant, un défaut vient contrarier la course de la petite Gordini bleue : les freins ne fonctionnent plus vraiment. Détail en début de soirée, mais pendant la nuit, le problème s'aggrave. Si Behra et Manzon estiment que la course peut se poursuivre dans ces conditions, le Sorcier Amédée Gordini n'est pas de cet avis. A trois heures du matin, la Gordini est arrêtée, et deux heures plus tard, l'équipe rentre vers Paris.
Vient alors un troisième concurrent qui s'installe en tête de la course. L'homme n'est pas pilote à temps plein. Bijoutier parisien, Pierre Bouillin, dit "Levegh", en hommage à son grand père, pilote de temps à autres, mais avec un talent reconnu. Et pour cause, pour cette édition, au volant de sa Talbot T26 GS, le Français enchaîne les tours. Depuis le départ, il n'a pas lâché le volant de sa magnifique Talbot flanquée du #8. Pas une envie de gloire de sa part, mais celle d'assumer toute sa responsabilité, en cas de problèmes sur la voiture.

Et pour un boulon de plus...
"D'abord, je dois mettre les choses au point", expliquait-il après course. "Je voulais être le maître de la voiture que j'avais engagée à mes frais et faire la course tout seul, je m'en sentais capable, Marchand le savait." Quand il s'est retrouvé à mener la course, "j'avais de trop grandes responsabilité. J'étais en tête et j'avais à défendre non seulement le prestige national mais aussi la réputation de Talbot. Je savais que j'allais plus vite que les Allemands."

Et le Français tient bon. Passée, la nuit, puis la matinée, Levegh enchaîne les tours mais ne fatigue pas, tandis que les Mercedes semblent avoir abandonné toute chance de s'imposer. Jusqu'à 70 minutes de la fin. Une rupture du boulon de vilebrequin vient anéantir la marche en avant de la Talbot. Fin de la course, après 22h40 d'exploit.
La victoire tombe alors entre les mains de l'écurie Mercedes, dirigée par l'inusable Alfred Neubauer, tandis que Porsche triomphe aussi dans sa catégorie, pour sa première au Mans. En dépit de ses problèmes de pneus, la Mercedes #21 de Lang-Riess vient donc s'offrir une victoire remarquable. Et importante, pour cette Allemagne en quête de reconstruction industrielle.
Toutefois, l'effort remarqué est celui de Pierre "Levegh". Neubauer saura se souvenir de l'efficacité du Français, qu'il engagera sur ses 300 SLR en 1955, aux côtés de Fangio, Moss ou Fitch. Une édition marquée par l'accident mortel de Levegh, dont la voiture partira dans le public, tuant 82 personnes. Le plus dramatique accident de l'histoire du sport automobile.