En 1987, Bugatti est une marque presque morte. La dernière voiture conçue par la marque remonte alors à 1956, et le nom disparaît peu à peu du paysage automobile. C'est à ce moment-là que l'entrepreneur italien, Romano Artioli, a décidé de se porter acquéreur des droits liés au nom Bugatti. Il crée Bugatti Automobili SpA et décide de mettre entre parenthèses les racines françaises du constructeur.
Désireux de construire la meilleure voiture de sport au monde, mais aussi la plus rapide, il a alors pris la décision de ne pas rester implanté en Alsace, mais de se rapprocher du berceau de la voiture de sport en Italie, la région de Modène. C'est précisément à Campogalliano qu'il fait construire une usine, en proche banlieue de la ville, à quelques kilomètres de Ferrari, Lamborghini et Maserati.
Au sein de cette usine, qui abrite environ 200 travailleurs, on trouve un bâtiment principal pour l'administration, un studio de design, un banc de développement des moteurs, un grand hall de production, une pièce d'exposition, mais aussi une cantine, et une piste d'essais à l'extérieur. L'architecte a voulu construire une usine moderne sur le plan du design et de la technique, pour faire écho à l'objectif d'Artioli concernant la voiture à venir : qu'elle soit le nec plus ultra de l'industrie automobile.
Une usine hors du commun pour une voiture exceptionnelle



La partie de l'usine où est fabriquée la voiture est bleue, arbore un logo Bugatti énorme, et possède de larges tuyaux blancs. Pour le designer, cette partie est censée représenter le cœur de l'usine. À l'intérieur, la lumière envahit l'espace et la pièce principale est dessinée pour refléter les couleurs de la marque, à savoir le bleu et le blanc, ainsi que des logos EB, pour Ettore Bugatti. Au sol, Artioli dépense sans compter et demande à Benedini de mettre des matériaux nobles ; l'architecte choisit du marbre Carrara, du cristal et de l'acier !
Le bâtiment rond aux larges surfaces vitrées est équipé de stores s'adaptant automatiquement à la lumière du jour, afin de faciliter la vie des employés du département recherche et développement. La salle d'exposition est réservée pour les dîners de gala et les livraisons aux clients, tandis qu'un autre grand espace lumineux, situé au centre de l'usine, sert de point de rencontre pour la famille Bugatti, les clients, les visiteurs ou encore les partenaires de la marque.
Mais Romano Artioli, qui a délocalisé Bugatti pour pouvoir attirer plus facilement des ingénieurs venus de la proche concurrence, ne veut pas oublier l'Histoire de la marque et donne des accents français à l'usine. Aussi, il fait acheminer une des anciennes portes en bois de l'infrastructure de Molsheim et place sur les murs des dessins originaux d'Ettore Bugatti, des drapeaux français, et une Type 35 rappelant l'héritage de la marque. Il fait créer dans la salle d'exposition un plafond rappelant une roue de la Type 59.

"Avec l’usine à Campogalliano, Romano Artioli a trouvé un compromis. Il était très au courant de l’identité française de Bugatti, mais avait besoin d’ingénieurs locaux expérimentés en voitures de sport", explique l'actuel PDG de la marque, Stefan Winkelmann. "Avec son grand engagement, Artioli a fait revivre La Marque et a contribué avec l’EB110 à l’Histoire de Bugatti. Pour cela, encore aujourd’hui, il a notre respect."
Une nouvelle ère d'une courte durée
Après trois ans de construction, le complexe de 240'000 m2 est inauguré. Il a été dessiné, sur demande d'Artioli, par Giampaolo Benedini, architecte italien, qui participera aussi au dessin de l'EB110. Car en effet, c'est autour de l'EB110 que ce projet est né. L'usine est inaugurée le 15 septembre 1990, le jour des 109 ans de la naissance d'Ettore Bugatti, et l'usine qui est la plus moderne au monde à ce moment éblouit par son design et ses infrastructures. Pour le fêter, un groupe de 77 Bugatti anciennes vont de Molsheim jusqu’à Campogalliano. À l’avant de l’une d’elle est accroché un flambeau, comme un symbole de la renaissance de la marque.
Achim Anscheidt, designer de la Centodieci, rappelle l'importance de Giampaolo Benedini sur cette phase de la vie de la marque : "Giampaolo Benedini a conceptualisé une architecture moderne et surprenante pour une manufacture automobile qui paraît encore aujourd’hui moderne, d’une beauté quasi intemporelle. Mais pas seulement. En parallèle il a donné le coup de crayon final à l’EB110 et a ainsi créé une voiture super sportive iconique et superlative."

Un an après l'inauguration de l'usine, Bugatti révèle en grande pompe l'EB110, premier produit de ce site industriel hors norme. Son V12 de 3.5 litres, poussé à 610 chevaux dans sa version la plus sportive, permet à la supercar d'abattre le 0 à 100 km/h en 3,3 secondes et d'atteindre les 350 km/h. Dans la foulée, l’EB110 bat en tout quatre records du monde, comme le rappelle Bugatti : "Celui de la plus grande accélération, celui de la plus grande vitesse pour une voiture de sport de série, celui de la voiture alimentée en essence la plus rapide et celui de la voiture de série la plus rapide sur glace."
Artioli a réussi son pari et tient sa supercar superlative, la meilleure au monde. Malheureusement, la chute du marché de la voiture de sport qui frappe le secteur au début des années 90 aura raison du site de Campogalliano, qui doit être fermé après que la demande a drastiquement chuté. Au total, le site aura fait naître 96 EB110 GT, 32 EB110 SuperSport, sans compter les prototypes. Le projet de limousine de luxe, l'EB112, est finalement abandonné et l'usine est fermée définitivement en juillet 1995.
Bugatti Automobili SpA fera faillite dans la foulée, et le nom végétera pendant trois ans. En 1998, Ferdinand Piëch, alors directeur du groupe Volkswagen, décide de racheter le droit d'exploitation du nom, pour une dizaine de millions d'euros, et fonde Bugatti Automobiles SAS. Volkswagen fait coup double en se portant aussi acquéreur de Lamborghini, et décide de ramener Bugatti en Alsace, en ouvrant une nouvelle usine à Molsheim, nommée L'Atelier, où sont aujourd'hui produites les Chiron, Divo, et donc la toute nouvelle Centodieci.