"Nous admirons également ces hommes d’une autre trempe que ceux que la culture présente ordinairement comme des modèles, et qui sont à l’origine de ces belles réalisations [celles de l’aéronautique] : mécaniciens, ingénieurs, concepteurs, pilotes et avionneurs". Ainsi l’épistémologue Daniel Parrochia s’exprime-t-il dans L’Homme volant paru aux éditions Champ Vallon (voir référence à la fin de l’article).
Tout au long du siècle passé, la voiture volante a "occupé le terrain". De nombreux inventeurs et autant d’entreprises ont cherché à pérenniser ce type de machine. Les fortunes ont été diverses. Elles ont parfois tutoyé les canopées du monde entier mais c’est seulement le siècle – que le philosophe Alain Badiou désigne comme "une unité historique" dans son Le Siècle (Le Seuil, 2005) – actuellement entamé qui verra sans doute ses voitures volantes se matérialiser.

Les voitures volantes en état de recrudescence !
Et pour cause. C’est à peine si on sait où donner de la tête tant les projets se sont à nouveau multipliés depuis une dizaine d’années. Congestion urbaine, dérégulation, segmentation, les raisons de ce renouveau se croisent probablement et ne confrontent probablement pas les seules contraintes techniques résolues dans le principe, comme on le verra, depuis un moment… Ne boudons d’ailleurs pas notre plaisir de rappeler quelques-unes des réalisations actuelles les plus probantes.


Le hollandais PAL-V – dont le concept initial est dû à Mark D. Moore, chercheur au centre Langley de la NASA – a d’ores et déjà avancé ses billes et elles semblent sérieuses pour ce qui s’apparente à un gyrocoptère de 910 kg capable de rouler à 160 km/h maximum, d’emmener deux personnes, de voler à 180 km/h à une altitude maximale de 3,5 km, doté d’une autonomie de 4,3 heures de vol mais seulement en mesure d’emporter 20 kg de bagages… L’AeroMobil ressemble davantage à un petit avion aux ailes repliables. Le véhicule slovaque semble avoir de bons arguments à faire valoir, d’autant meilleurs que la liste des ingénieurs et autres personnels est plutôt impressionnante. Les grands constructeurs, s’ils ont tardé à prendre le train en marche, paraissent se pencher sur le cas.


Ainsi le numéro un mondial, Toyota, n’entend-il pas rater le coche et participera à sa manière au nouvel avènement des voitures volantes à l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyo. La société Uber elle-même a déjà des plans dans le domaine. C’est l’ensemble des modes de déplacements qui sont concernés et la voiture volante pourrait se développer sous de multiples formes, jusqu’aux plus inattendues. Il suffit de prendre l’exemple du projet des Seabubbles, des taxis volants sur la Seine parisienne. Cet exemple est certes limite mais il montre que pour se déplacer la roue sera peut-être moins prédominante qu’elle ne l’a été ces dernières dizaines d’années.

Flashback
Mais revenons un moment en arrière, au début du XXe siècle, une époque à laquelle une imagination déjà sans fin et sans faille autorisait de penser que tout le monde pourrait disposer d’un véhicule volant… en l’an 2000. Au début du siècle dernier, donc, comme l’explique Patrick J. Gyger dans son livre Les voitures volantes, souvenirs d’un futur rêvé, (cf. infra) la voiture volante est prise pour un "hybride presque naturel". Il s’agit d’ailleurs de noter de nombreuses similitudes entre les mondes de l’automobile et de l’aviation.
Pour en convenir, il suffit de rappeler les multiples passerelles et croisements ayant opéré entre les deux et citer quelques exemples : si les frères Voisin font partie des plus emblématiques, comment ne pas penser, dans son genre et pour une marque automobile aujourd’hui encore en activité, à BMW.
Il faut prendre en considération ce que Patrick J. Gyger définit comme un engin bifonctionnel : "L’intérêt premier d’un engin bifonctionnel est d’affranchir tant l’automobile que l’avion à leurs sujétions propres : l’engin terrestre, rarement amphibie, est lié au sol et, sur le sol, aux routes sur lesquelles il ne peut dépasser une vitesse limitée par la technologie ou les règles de sécurité ; l’avion de son côté bien qu’il accède à de plus grandes vitesses et qu’il soit, au moins en apparence, 'libre comme l’air', reste dans la pratique rattaché aux aérodromes. Or, ces derniers sont souvent loin des centres urbains." Afin de concrétiser un tel besoin de fonctionnalité, faut-il partir d’une automobile ou d’un avion modifié ou encore concevoir un véhicule spécifique ? Aujourd’hui encore la question induit des réponses différentes.
Galerie: Dossier voitures volantes
"Allô, Alain Bublex, parlez-nous d’Aerofiat !"
Le travail de l’artiste Alain Bublex, ex-designer Renault, représenté à Paris par la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, a ceci de remarquable qu’à sa manière il interroge, notamment à travers l’une des plus célèbres de ses œuvres, les Aerofiat, le rapport de l’automobile à l’aviation, du déplacement au cinéma, de la réalité à la fiction ou à l’utopie, toutes choses qui traversent l’histoire que Patrick J. Gyger fait des voitures volantes.
Dans celle-ci, Patrick J. Gyger distingue plusieurs périodes que nous suivrons ici. La première est caractérisée par la croissance, dans les années 1920, de projets de véhicules "bon marché" principalement sous l’impulsion de Waldo Waterman (en Californie) avec son Whatsit. On se prêtait alors à rêver d’une aviation pour tous… ce que l’aviation civile finit par réaliser d’une autre manière. Les Etats-Unis étaient à la pointe, plus particulièrement grâce à la marque Studebacker qui ne lésinait pas sur les moyens et sur la promotion faite autour de ses projets.
Durant la seconde moitié des années 1930, les principaux acteurs jouent de la discorde entre partisans des véhicules modulaires et les autres. Dans les années 1940, c’est le paradigme de l’horizontalité qui a la faveur des entrepreneurs et des inventeurs. Il s’agit de lier par le transport gens et lieux, la ligne droite étant idéale pour cela. Si au sortir du deuxième conflit mondial il n’y a pas de marché suffisamment efficient pour permettre la rencontre d’une offre et d’une demande de voitures volantes, des projets restent emblématiques de l’après-guerre. On pense ainsi à la ConvAirCar conçue par Theodore Hall, à l’Airphibian de Robert E. Fulton qui est à la fois automobile et avion, la transformation de l’une en l’autre ne nécessitant que sept minutes, à l’Aerocar qui fut commercialisé aux États-Unis et amélioré pendant 40 ans par Moulton "Molt" Taylor, cela à partir de la fin des années 1950.
Les voitures volantes demeurent également omniprésentes dans l’imaginaire de la bande dessinée, de la science-fiction, du cinéma populaire – on pense, en France, au film Fantomas. Un tournant presque fatal s’opère dans les années 1970 : l’encéphalocardiogramme des voitures volantes devient presque désespérément plat. Le choc pétrolier est-il en cause ? C’est possible tant le moindre V6 passe en Europe pour le pire des gloutons. Au cinéma pourtant, la voiture volante fait de la résistance et n’entend pas déserter la place. La De Lorean – à moteur V6 justement (un PRV !) – de Retour vers le futur du réalisateur Robert Zemeckis ne se contente toutefois plus de voler mais de voyager à travers le temps, anticipant probablement un peu trop sur la suite des événements. L’espace est battu en brèche et nous voilà directement projeté dans les années 2000, lesquelles marquent un retour en grâce – technologie aidant – du décollage vertical (voir par exemple le Skycar M400 de Paul Moller).
Les géants de l’aéronautique se réveillent
Quelques cas pratiques vont nous permettre de revenir sur terre. Airbus géant s’il en est a présenté en l’espace de quelques mois à peine deux concepts très avancés, d’abord le Vahana puis le Pop.Up, le dernier datant du salon de Genève 2017 et ayant été conçu en collaboration avec la firme italienne ItalDesign, aujourd’hui partie intégrante du groupe Volkswagen. Nous avons cherché à mieux comprendre les logiques à l’œuvre derrière ces deux projets.




Des représentants des départements communication européen et américain de Airbus ont bien voulu nous éclairer à ce propos. Ainsi apprend-on du Pop.Up que "les facteurs clés du succès de la mobilité aérienne urbaine sont la sécurité, la fiabilité et un coût abordable. La nouvelle conception de véhicules e-VTOL (E véhicule à décollage et atterrissage vertical) offre une plus grande redondance, un coût moindre et une intégration dans les systèmes de mobilité intelligents, ainsi que la fiabilité". Quant à la clientèle visée : "Le service pourrait être utilisé par des personnes qui ont besoin d'aller plus vite d’un point A à un point B, en continu, à des niveaux de prix proches de celui d'un taxi traditionnel." Il reste bien entendu quelques obstacles sur la voie d’une éventuelle commercialisation prochaine : "La certification des véhicules neufs, les règlements sur le vol dans l'espace aérien urbain et le développement de l'infrastructure au sol constituent les principaux obstacles au développement de ce type de véhicule".
Significativement différent, le succès du projet Vahana repose essentiellement sur des questions de sécurité. Avec Vahana, Airbus entend proposer pour les trajets urbains quotidiens une alternative aux voitures et au train, le tout dans un environnement interactif et partagé. C’est autour d’une automatisation intégrale des services associés et de la réglementation qu’Airbus doit encore travailler puisque, manifestement, les voitures volantes d’aujourd’hui et de demain n’auront concrètement plus rien à avoir avec les précédentes générations et les expérimentations du siècle passé. Une tendance s’est dessinée depuis plusieurs années maintenant : les réglementations sont en train d’évoluer sous l’impulsion des évolutions technologiques ou sociétales (VTC, locations d’habitats, etc.) ; il est dès lors plus que probable que l’avènement de la voiture volante n’échappera pas à cette tendance. Rien qu’une société telle que Airbus est déjà en train de développer deux concepts très différents l’un de l’autre ; c’est dire que le potentiel est là bien qu’il n’y aura peut-être pas assez de place pour l’ensemble des prétendants outsiders.
Une nouvelle ère
Ces dernières années, les transformations et évolutions sont telles que l’on peut se demander si la terminologie de "voiture volante" demeurera. Elle ne semble en effet guère appropriée à des besoins de déplacements qui dépassent largement sa seule problématique technologique. Mixité, complémentarité, tantôt horizontalité, tantôt verticalité (ascenseurs urbains, téléphériques, pourquoi pas montgolfières, etc.), l’époque est décidément ouverte.
Pour aller plus loin :
Les voitures volantes, souvenirs d’un futur rêvé, Patrick J. Gyger, Favre, 2005
L’Homme volant, philosophie de l’aéronautique et des techniques de navigation, Daniel Parrochia, Champ Vallon, coll. milieux, 2003
Page relative à Alain Bublex de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois