Le durcissement des normes d'émissions polluantes, et surtout les émissions de CO2, inquiète grandement le secteur automobile, qui commence à percevoir le risque de ne pas pouvoir s'y conformer cette année. En effet, les constructeurs doivent passer, sur l'ensemble de leur gamme, sous le seuil de 95 g/km de CO2 rejeté, et aucune marque ne s'y conforme pour le moment, certaines ayant un retard conséquent.
Ce chiffre doit être respecté sur l'ensemble des ventes et soumet les constructeurs contrevenants à une amende de 95 euros par gramme en trop sur l'ensemble du volume écoulé au terme de l'année, exposant ceux ayant le plus de retard à des amendes se comptant en milliards d'euros. Didier Leroy, numéro 2 de Toyota, s'inquiète de l'impossibilité des marques à se faire entendre, quelle que soit leur situation.
"Aujourd'hui, il n'est pas de bon ton de se plaindre, le dieselgate nous a rendus inaudibles", explique-t-il aux Échos. "Le Dieselgate a décrédibilisé toute l'industrie automobile, particulièrement auprès du monde politique et des personnes en charge des réglementations. C'est terrible. Tout le monde a payé la facture de cette énorme perte de confiance. Surtout en Europe et à Bruxelles, où l'on pense que les constructeurs sont tous des tricheurs. Ce n'est pas vrai. Mais cela a débouché sur une accélération extraordinaire du durcissement des normes de pollution pour l'automobile, alors que d'autres secteurs émettent bien plus que nous sans être inquiétés."
Un plan pas assez anticipé ?
Ces normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) ont pourtant été décidées en 2014, laissant donc plusieurs années aux constructeurs pour s'y préparer. Basées sur le CO2, elles comptaient sur le diesel pour réduire les émissions, consécutivement à une faible consommation, et ainsi atteindre ces seuils. Mais le Dieselgate est passé par là, et avec lui la prise de conscience du rejet de nombreuses autres émissions polluantes de ce carburant, à commencer par les oxydes d'azote (NOx) et dioxyde d'azote (NO2). Le diesel étant passé de 70 % du marché européen à environ 35 % en cinq ans, ces normes sont compliquées par la vente massive de véhicules à essence, mais aussi de SUV, qui sont l'autre raison principale de la hausse des émissions polluantes sur le marché automobile.
Certains constructeurs ont acheté des brevets de voitures hybrides, à l'image de Ford qui a présenté un plan d'électrification conséquent, tandis que d'autres, comme Honda, ont décidé d'électrifier leurs best-sellers pour s'y conformer rapidement. Mais dans l'ensemble, les marques voient négativement l'abaissement des normes à 95 g/km, là où les États-Unis et le Japon ne demandent pas un seuil inférieur à 120 g/km.
En réalité, ce système s'explique par la volonté de baisser drastiquement les émissions polluantes issues du secteur de l'automobile, et les USA notamment ne sont pas un exemple à suivre, alors qu'ils réfléchissent à un retour en arrière. Au final, l'Europe a tout de même aménagé un temps de transition pour que les constructeurs se conforment à ces besoins, en comptant double les véhicules électriques et en ne prenant en compte que 95 % des émissions totales cette année, avant d'appliquer en 2021 de véritables pénalités aux marques et aux groupes qui n'auraient pas encore réussi à adapter leurs technologies.
De plus, les constructeurs peuvent appliquer en 2021 un objectif corrélé au poids moyen des véhicules, les Allemands ayant réussi à faire entendre que la taille moyenne de leur gamme rendait plus difficile le respect des lois. Cela a donc un double effet négatif, puisqu'il autorise les constructeurs à vendre des modèles pachydermiques et très polluants, tout en pénalisant ceux qui, à l'image des marques françaises, sont déjà plus bas en termes d'émissions et vendent des voitures moins imposantes en taille.
À partir de 2021, les efforts ne devront pas s'arrêter puisque les constructeurs devront, entre cette année-là et 2030, abaisser leurs seuils d'émissions polluantes de 40 %, sous peine de s'exposer de nouveau à des amendes monstres. Didier Leroy, dont la marque Toyota prévoit une gamme de modèles électriques, regrette cette course à la réduction : "Il y a dix ans, une voiture consommait 10 l/100 et personne ne s'en étonnait, dit Didier Leroy. Aujourd'hui, après d'énormes efforts, on est à cinq litres et on dit que c'est trop !" Bien que cette réduction de 40 % semble presque utopique, elle est tout de même essentielle pour que l'automobile ne cesse d'être l'un des pires vecteurs de pollution et l'une des causes les plus importantes du changement climatique en cours.