Faut-il vraiment un rapport pour nous ouvrir les yeux ? La France n'est plus industrielle et les exemples sont nombreux pour étayer cette affirmation, notamment dans le secteur automobile. Il n'y a qu'à se pencher sur le cas de nos constructeurs nationaux pour véritablement s'en rendre compte, puisque la plupart de leurs best-sellers sont maintenant produits à l'étranger.
Les deux voitures les plus vendues en France, à savoir la Renault Clio et la Peugeot 208, sont respectivement fabriquées en Turquie et en Slovaquie, tandis que les Renault Captur et Peugeot 2008 sont fabriqués en Espagne, le premier du côté de Valladolid et le second à Vigo. L'exode industriel de nos constructeurs français symbolise bien la désindustrialisation de notre pays.
Selon un rapport de France Stratégie remis jeudi 19 novembre 2020 à l'Assemblée nationale, les grandes entreprises françaises sont devenues des championnes de la délocalisation à partir des années 2000, au détriment de l'emploi industriel. Ce rapport de 600 pages intitulé "Les politiques industrielles en France, évolutions et comparaisons internationales" revient sur les raisons du déclin de l'industrie française, la France étant devenue, avec le Royaume-Uni, l'économie la plus désindustrialisée du G7.
Ainsi, selon France Stratégie, depuis 1980, l'industrie française a perdu la moitié de ses effectifs et ne représente plus aujourd'hui que 10,3 % du total des emplois. La part de l'industrie dans le PIB s'établissait à 13,4 % en 2018, contre 25,5 % en Allemagne, 19,7 % en Italie ou 16,1 % en Espagne. Les raisons de ce déclin tiennent principalement, toujours selon le rapport, à une "fiscalité particulièrement élevée sur les facteurs de production". Ce à quoi le gouvernement veut remédier en baissant les impôts de production à hauteur de 20 milliards d'euros dans le cadre du plan de relance.
"Une inflexion importante", a commenté Gilles de Margerie, le commissaire général de France Stratégie, lors d'une conférence de presse, "qui s'inscrit dans la continuité du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, du Pacte de responsabilité et de l'allégement global des prélèvements obligatoires qui pèse sur le secteur industriel". Cette fiscalité élevée, couplée à une dérive du coût du travail "indirect" − c'est-à-dire les coûts salariaux dans les secteurs qui fournissent des composants ou des services à l'industrie − a entraîné une dégradation de la compétitivité de l'industrie française.
L'industrie française pu faire le choix, comme en Allemagne, d'une montée en gamme de ses produits, mais elle a plutôt opté par une délocalisation des sites de production, précise le rapport. En effet, le tissu industriel français était composé plus qu'ailleurs de grandes entreprises, "celles-ci ont tiré plus fortement avantage de leur capacité à produire dans des pays à faibles coûts pour compenser la dérive des coûts en France par rapport à leurs concurrents".
"Les grandes entreprises françaises sont donc devenues les championnes de la délocalisation, ce qui leur a permis de maintenir leur compétitivité au niveau mondial, mais au détriment de l'emploi industriel en France".
Ainsi, l'emploi des filiales industrielles à l'étranger des groupes français représente 62 % de l'emploi industriel en France, contre 52 % au Royaume-Uni, 38 % en Allemagne, 26 % en Italie et 10 % en Espagne. L'exemple du secteur automobile illustre ce paradoxe d'un "pays qui compte de grands constructeurs mondiaux" comme Renault ou le groupe PSA, "mais une industrie qui s'est beaucoup affaiblie" par rapport à sa voisine allemande, a souligné Gilles de Margerie.