De plus en plus de pilotes issus du motocross ou du supermotard trouvent leur compte sur les ovales de France et de Navarre. En attendant les as de la vitesse, dans l’aspi de Marquez et Rossi…

Wilfried Delestre n’a jamais rencontré Gilles Salvador, mais le jeune quadruple champion de France de flat-track et l’ancien double champion de France de Supermotard se rivalisent de travers sur l’ovale. Tous deux connaissent bien la terre de Mâcon. Le premier parce qu’il y dispute certaines des courses du championnat de France, le second parce qu’il y enseigne la discipline. Derrière les barrières, Stéphane Mézard et Philippe Bergeron savourent le spectacle et leurs retrouvailles, plus de vingt ans après leurs affrontements sur les circuits de supermotard.

Récapitulatif des photos de courses anciennes sur piste plate

L’auvergnat se prépare à importer les motos CCM en France, et il s’en est fallu de peu qu’il ne fasse rouler le flat-tracker de la marque britannique. Délais un poil courts. Philippe, lui, est venu avec son Sportster 1200 transformé en réplique de la mythique Harley-Davidson XR 750 qui a régné durant trois décennies sur le Grand National américain. À 57 ans, il a disputé en 2018 sa première saison de flat-track. "J’ai découvert cette discipline par hasard au salon de Lyon, j’ai découvert une super ambiance et des motos faites de bric et de broc. Je me suis dit qu’avec une Harley, ce serait top. J’ai donc trouvé un Sportster de 92, je lui ai mis deux roues de 19, trouvé un réservoir de XR1200, un dosseret, un guidon, une paire d’amortisseurs EMC, et le tour était joué...". Deux épreuves en France organisés par Vintage Racing Spirit, plus les entraînements.

Chaque année, ces journées de flat-track organisées par Vintage Racing Spirit rassemblent plus de monde. Seb et Domice ne cessent de faire progresser leur formule initiée il y a trois ans, avec maintenant l’organisation de courses et même une marque de vêtements véhiculant un certain état d’esprit.

"Ça met un peu la pression" reconnaît Seb quand on lui rapporte que tout ce que la France compte d’adeptes du flat-track attend avec impatience le calendrier de courses et de roulages de Vintage Racing Spirit. Si l’association lancée avec Domice il y a trois ans fait l’unanimité dans une discipline rassemblant des profils de pilote pourtant venus d’horizons très différents, c’est parce que l’état d’esprit de ces journées est prioritaire. "L’idée est d’avoir un groupe de personnes qui se font plaisir ensemble. Même si on organise des courses, on est une petite famille et l’état d’esprit est de se tirer la bourre entre potes. On a plusieurs catégories, vintage, modernes et les Youngtimers, qui sont la catégorie intermédiaire" explique Sébastien, qui a rencontré Domice lors de l’organisation de la Distinguished Gentlemen’s Ride à Lyon en 2012.

"Pas besoin de Brembo…"

Un phénomène en pleine expansion que constate Wilfried, aux antipodes de ce qu’il a connu à ses débuts en 2012 : "J’ai découvert le dirt complètement par hasard dans une fête de village dans le sud du Maine et Loire. Il y avait une épreuve de championnat de France de grass-track et de flat track. A l’époque, ce n’était pas du tout médiatisé, et la ligue du Pays de Loire nous avait demandé de venir pour compléter le plateau. J’y suis allé pour le fun, et comme je rénovais ma maison durant l’hiver 2011-2012, j’avais délaissé mon entraînement en cross. Du coup, début 2012, je me suis lancé dans une petite saison de flat-track pour voir ce que ça donnerait. J’ai été piqué et je n’ai pas lâché. La première année, tout le monde se demandait ce que je faisais… Pourquoi tu as arrêté le cross pour tourner en rond sur des anneaux ? Pourquoi tu enlèves ton frein avant ? Cela jusqu’en 2014, et puis le Superprestigio est arrivé avec Marquez, puis on a commencé à voir des images de Rossi dans son ranch. Cela a pris de l’ampleur en Europe, et parallèlement des grosses marques revenaient en flat, comme Indian aux Etats-Unis. Les marques comme Rockstar ou Monster ont commencé à sponsoriser des pilotes. Je suis dans l’air du temps sans le vouloir, je suis arrivé un peu avant…"

Gilles Salvador a lui aussi perçu cet engouement, et a très tôt transformé ses cours de pilotage en supermotard en cours de dirt, mais il nuance l’effervescence du moment : "Pour l’instant, il y a surtout des machines vintage. Les pilotes de vitesse tardent à s’y mettre, malgré la voie ouverte par Rossi et Marquez. Mais dès que certains essaient, ils accrochent et continuent. Tout le monde peut pratiquer avec n’importe quoi. Tu vas chercher une vielle moto à la casse, tu retailles des pneus et ça coûte que dalle. C’est à la portée de tout le monde, c’est plus abordable que le supermot'. Là, tu n’as pas besoin de Brembo, il n’y a pas de freins… C’est sûr que ce n’est pas bon pour le business, mais niveau sensations, c’est pas mal."

Vieilles anglaises, nouvelles italiennes

Attiré par l’esthétique du flat-track tout autant que par sa pratique, Dimitri Coste, lui, ne recule devant rien lorsqu’il s’agit de tourner sur un ovale. Ni à traverser les mers, ni à surmonter les blessures. Il était à Mâcon, évidemment, avec ses potes.

Pendant que le quadruple champion de France de flat-track Wilfried nous balaie un peu la piste, Dimitri peaufine la déco de son réservoir à la main, à l’arrière du van : "C’est temporaire, je ne suis pas prêt pour la saison". Sa relation avec le flat est d’abord un "kiff visuel" comme il l’affirme d’emblée. "Parce que ça n’existait quasiment pas chez nous. J’étais attiré par l’esthétique des motos et de la gestuelle de pilotage. Je suis tombé amoureux d’une moto que j’ai trouvé d’occase, une BSA B50 MX, un 500 mono anglais monté dans un châssis rigide. Je l’ai ramenée chez moi, mais je ne pouvais rien en faire. Il n’y avait pas frein, une couronne de 58 derrière, pas de papiers, rien, je me suis retrouvé comme un con, donc je suis allé rouler en Angleterre, et c’est là que ça a commencé."

Habitué du championnat vintage anglais, Dimitri a connu le Stuk, (short track UK), précédant le fameux DTRA (Dirt Track Riders Association), remporté en 2014 par Franck Chatokhine, qui peaufine sa Rickman Metisse un peu plus loin. Franck nous explique que toutes les commandes sont à droite. Au pied évidemment, puisqu’il n’y a pas de levier de frein en flat… Le sélecteur est donc placé au-dessus de la pédale de frein. Le moteur Triumph T100 de 1951 comporte une boîte de de BSA Goldstar à quatre vitesses, que l’on doit passer avec le talon…

À ses côtés sur la piste comme dans la vie, Zoé David fait partie des rares filles à pratiquer le flat-track en France. Découvrant la discipline au contact de son compagnon il y a un an et demi, Zoé a eu une révélation : "J’ai commencé sur la Rickman de Franck. Je m’en souviens très bien, c’était à la Norman Scramble de Beauval en Caux. J’ai adoré les sensations du flat track, après j’ai continué avec un 450 CRF, puis je me suis fait une BSA à l’atelier pour rouler avec Vintage Racing Spirit. C’était un virus, j’ai continué, même après mon accident."

Zoé n’a en effet pas été échaudée par un grave accident subi en octobre 2017. Sitôt sortie du coma, elle s’est remise en selle. "Puis Ducati m’a appelé et m’a proposé de rouler avec leur machine pour la course El Rollo du Wheels and Waves, au mois de juin dernier. C’était à la fois un défi pour moi et pour Ducati, parce qu’à la base ce n’est pas une machine prévue pour cela (800 Scrambler de route NDLR). Mais Laurence Etoubleau de Ducati West Europe tenait à faire rouler une fille parce qu’il y en a très peu dans l’univers du flat-track en France. On est deux seulement à Vintage Racing Spirit, il y en a d’autres qui arrivent, mais par exemple en Angleterre certaines filles roulent très très fort, dont Leah Tokelove qui roule pour Indian et qui dépose un paquet de mecs à chaque fois, c’est beau à voir."

Après avoir délaissé son master en architecture pour se consacrer à la mécanique au sein de l’atelier Chatokhine, Zoé vit à fond sa passion. "Le flat, on partage ça avec Franck. Je me suis prise au jeu et maintenant c’est un défi de tous les jours. Notre vie tourne autour de la moto, il y en a cinq dans la maison, dont une Ducati dans notre chambre. Pourtant dans ma famille personne ne fait de moto, personne n’y connaît rien. Je suis perçue comme une extra-terrestre chez les miens. Ça m’est tombé dessus comme ça, je ne sais pas pourquoi, et maintenant c’est ma vie."